Pas vraiment, on les expose à Québec et les gens affluent
Les organisateurs de l’exposition Bodies « n’ont pas de garantie à 100 % » que les corps ne sont pas des prisonniers chinois exécutés
Autant les organisateurs que les visiteurs de l’exposition Bodies, qui a ouvert ses portes à Québec le 6 juin dernier, ne semblent préoccupés par la provenance des corps morts exposés.
L’exposition, qui se veut scientifique et pédagogique et qui est présentée au Pavillon d’Espace 400e, met en vedette des corps dépecés et injectés d’une substance plastique.
Ce qui soulève l’indignation et la controverse est le fait que les «objets» présentés proviennent de Chine, un pays réputé pour pratiquer le trafic d’organes et exécuter des prisonniers pour répondre aux demandes de ce marché.
Jusqu’à maintenant, les différents responsables de la tenue de l’évènement à Québec ont balayé la critique et indiqué avoir reçu des garanties suffisantes que les corps exhibés ont été donnés à la science ou qu’ils sont non réclamés.
«On nous a certifié que tous les corps présentés ici sont des corps qui ont été donnés à la science ou qui n’ont pas été réclamés», indique Daniel Gélinas du Festival d’été de Québec, cité par Radio-Canada.
Luci Tremblay, porte-parole de l’exposition rejointe au téléphone, refuse pour sa part de commenter sur le sujet et renvoie plutôt les questions aux promoteurs, Premier Exhibitions. «Premier Exhibitions est coté en bourse» et «l’exposition a déjà reçu des millions de visiteurs dans le monde», assure-t-elle.
Catherine Morgenson de Premier Exhibitions, interviewée par Radio-Canada, affirme avoir obtenu certaines garanties des fournisseurs de corps qu’aucune torture ou traumatisme aurait précédé la mort des individus exposés. «On n’a pas de garantie à 100 %, mais nous sommes à l’aise avec le contenu de l’exposition», affirme-t-elle.
Du côté des personnes concernées par l’éthique et des organisations des droits de l’homme, la question ne peut être traitée avec autant de désinvolture.
Selon Anne Ste-Marie, porte-parole d’Amnistie Internationale, les responsables de l’exposition Bodies font preuve d’une «telle ignorance» de la réalité du système judiciaire chinois, qui n’est pas indépendant et qui détient le record des peines de mort décernées annuellement.
Interrogée sur sa connaissance du système chinois, Mme Tremblay, qui refuse de prendre quelconque responsabilité pour la provenance des corps, a répondu : «Je sais c’est quoi la Chine, j’y suis déjà allée.»
«Ce sont des vendeurs d’évènements culturels. Ils n’ont aucune espèce de compréhension de ce que ça peut représenter comme phénomène», souligne pour sa part Mme Ste-Marie.
En avril dernier, une exposition similaire présentée à Paris a reçu l’ordre de la justice française de fermer ses portes. Les ONG Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM) et Solidarité Chine ont fait valoir en cour, avec succès, que l’exposition porte atteinte à certains droits fondamentaux.
ECPM indique sur son site Internet que la justice «a considéré que la Société Encore Events, organisatrice de l’exposition, ne rapportait pas la preuve “de l’origine licite et non frauduleuse des corps litigieux et de l’existence de consentements autorisés”».
Confrontée à la réalité de la fermeture de cette exposition à Paris, Mme Tremblay a fait valoir, avec raison, que celle de Québec est produite par une autre entreprise, soit Premier Exhibitions. Sauf qu’il apparaît que ce promoteur a eu ses propres démêlés avec la justice, n’étant pas non plus en mesure de garantir que les corps exposés ne proviennent pas de condamnés à mort.
En mai 2008, le procureur général de l’État de New York, Andrew M. Cuomo, a jugé que Premier était «incapable de réfuter les allégations selon lesquelles les corps exposés proviennent de prisonniers chinois.» Il a forcé Premier Exhibitions à : rembourser les personnes désireuses ayant visité l’exposition Bodies de la ville de New York; obtenir des preuves de la provenance des corps; engager un moniteur indépendant pour s’assurer que les termes de l’entente sont respectés; et indiquer clairement dans l’exposition qu’il n’est pas en mesure de garantir que les corps ne proviennent pas de prisonniers torturés et exécutés.
«La triste réalité est que Premier Exhibitions a profité de l’exposition des restes d’individus qui ont peut-être été torturés et exécutés en Chine», indique le procureur général. «Malgré les démentis récurrents, nous savons maintenant que Premier lui-même ne peut démontrer les circonstances qui ont mené à la mort des individus. Premier ne peut pas non plus démontrer que ces gens consentaient à ce que leurs restes soient utilisés de cette manière. Le respect des défunts et le respect du public requièrent que Premier fasse plus que simplement nous assurer qu’il n’y a pas de raison de nous inquiéter.»
En 2006, le responsable de l’exposition Bodies, Roy Glover, affirmait déjà candidement que ses cadavres ne provenaient pas de donneurs volontaires, rapporte la National Public Radio (NPR).
«Ils [les cadavres] sont non réclamés», mentionne-t-il. «On ne s’en cache pas, nous sommes ouverts à ce sujet.»
«Pour cette raison, plusieurs endroits refusent d’accueillir Bodies», indique NPR.
«Les corps et les membres actuellement exposés à New York sont accrédités à la Dalian Hoffen Bio Technique Company Limited (DHBTC). DHBTC obtient les corps indirectement du Bureau de la sécurité publique chinois…», affirme le communiqué du Bureau du procureur général de l’État de New York.
Selon Ensemble Contre la Peine de Mort, se prononçant sur l’exposition Our body à Paris, une série d’indices renforcent l’hypothèse selon laquelle les cadavres utilisés proviennent de prisonniers exécutés : «les morts exposés sont jeunes, sans pathologie apparente et leurs tissus sont parfaitement conservés, ce qui laisse à penser que leur mort a été programmée afin de les plastiner dans les meilleurs délais, avant la dégradation cellulaire; tous les morts exposés sont chinois; or, la Chine est le pays au monde qui exécute le plus (6000 à 8000 exécutions par an); les corps sont en majorité masculins; les corps des condamnés à mort chinois sont rarement réclamés par les familles».
Aux États-Unis, outre à New York, diverses démarches ont été entreprises pour empêcher l’exposition de cadavres avec but lucratif. L’État de la Californie a adopté une loi régissant ce genre de chose en 2007, mise de l’avant par la représentante démocrate Fiona Ma.
«Alors nous parlons potentiellement de milliers de gens, qui ont été drainés, injectés de plastique, tranchés en morceaux comme de la viande et servis à travers l’État pour des raisons commerciales», plaidait-elle à l’époque. «En tant que Sino-Américaine, je sais que peu de gens en Chine feraient un don volontaire de leurs organes ou de leur corps en raison des préférences culturelles et traditionnelles de conserver le corps intact pour l’enterrement après la mort.»
Naissance d’une industrie de la mort
Le concept de ces expositions cadavériques aurait été inventé par l’anatomiste allemand Gunther von Hagens (son exposition Body Worlds était à Montréal dernièrement) et depuis, de nombreux promoteurs l’ont repris alors que ça rapporte des gros sous.
Pour répondre à cette demande croissante de corps plastinés, toute une industrie s’est développée en Chine et comme mentionné plus haut, la matière première est obtenue grâce à des connexions avec les autorités.
Un reportage du New York Times daté de 20061 indique qu’à l’époque une dizaine d’usines de corps voyaient le jour un peu partout en Chine.
«À l’intérieur d’une série d’édifices non identifiés, des centaines de travailleurs chinois, certains assis dans des formations de chaîne d’assemblage, coupent, dissèquent, préservent et réarrangent des cadavres humains, les préparant pour le marché international des expositions de musée», écrit le journaliste du Times.
Trafic d’organes
La controverse soulevée par les différentes expositions de cadavres fait appel au problème du trafic d’organes en Chine. Dans les deux cas, la matière première de l’industrie est la même, soit des corps. Dans les deux cas, il y a avantage à obtenir un corps sans pathologie, en bon état, etc. La différence semble être au niveau des sommes impliquées, alors qu’on rapporte qu’une dépouille peut valoir 300 $ tandis qu’un rein, plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Qu’est-ce qui pourrait pousser une prison à alimenter une industrie plutôt qu’une autre? La question se pose. Une chose est certaine, personne ne conteste le fait que les prisonniers exécutés sont la banque quasi inépuisable d’organes servant à la transplantation.
La fondation Laogai, du dissident Harry Wu, se consacre à exposer les camps de travaux forcés en Chine, de même qu’à dénoncer la peine de mort et le trafic d’organes.
«En 2006, le vice-ministre chinois de la Santé, Huang Jiefu, a reconnu publiquement que la majorité des organes transplantés en Chine proviennent des prisonniers exécutés», est-il écrit sur le site de Laogai.
«Bien que les autorités chinoises affirment que les organes ne sont pas prélevés sur les prisonniers exécutés sans leur consentement ou celui de leurs familles, il y a un consensus parmi les éthiciens et les défenseurs des droits de l’homme que les personnes incarcérées ne sont pas en position de consentir, alors qu’ils sont particulièrement vulnérables à la coercition», poursuit le texte.
«En effet, en raison de la corruption omniprésente dans le système judiciaire chinois, combinée aux profits faramineux que peuvent faire les prisons avec la vente d’organes, toute preuve de consentement est au mieux douteuse […] les prélèvements d’organes sont devenus chose commune dans les prisons chinoises, fournissant à l’État encore un autre moyen d’exploiter les prisonniers, même après leur mort», conclut la fondation Laogai.
D’après le rapport Prélèvements meurtriers, coécrit par David Kilgour, ex-secrétaire d’État canadien pour l’Asie-Pacifique, et David Matas, avocat international des droits de l’homme, les pratiquants de la méditation Falun Gong seraient tués pour alimenter le marché des transplantations.
Selon eux, au moment de publier leur rapport, plus de 40 000 transplantations n’avaient pas de source d’organes établie. Ils auraient eu plusieurs confirmations de personnel hospitalier que les organes utilisés étaient ceux de pratiquants de Falun Gong et des statistiques démontrent que le nombre de transplantations a augmenté dramatiquement en Chine au moment où la persécution du Falun Gong a débuté en 1999.
Il y a donc des inquiétudes au sein de la communauté Falun Gong que de leurs membres, torturés et tués par la police chinoise pour avoir refusé de renoncer à leurs croyances, pourraient se retrouver dépecés et exposés à travers le monde.
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